La stratégie de Sciences Po Paris en 2023-2024
Prestigieux, innovant, passage obligé des élites politiques, Sciences Po Paris ne cesse de faire parler de lui. Il est en effet à la fois une […]
/ Sciences Po
Prestigieuse maison du monde de l’éducation français, Sciences Po Paris est depuis longtemps une machine à façonner les esprits et à lancer des carrières. À ce titre, pouvoir intégrer l’école demande un parcours scolaire exemplaire et d’excellents résultats au Bac. C’est la réforme du Bac qui a poussé en 2021 la vieille maison de la rue Saint-Guillaume à dépoussiérer ses procédures d’admission. Or, les aménagements du Bac promis par le ministre de l’Éducation en septembre 2023 semblent contrecarrer une partie de celles-ci. Qu’en est-il réellement ?
Revenons sur la décision prise en 2020 par l’École de procéder à une révision des critères et modes de sélection des futurs étudiants.
Jusqu’alors, il existait trois voies d’admission à l’École :
L’idée développée dès le début des années 2000 était d’améliorer la mixité sociale de l’École, à l’époque très réduite. D’où la procédure CEP, qui était un premier pas plutôt réussi. En 2020, la direction a décidé d’aller plus loin, en mettant l’accent sur l’admission de nombreux élèves boursiers. L’objectif était d’atteindre dès 2022 le taux des 30 % de boursiers parmi une promotion d’admis.
La réforme de 2020-2021 a été l’une des plus radicales de l’histoire récente de l’admission à Sciences Po. Rendue possible par l’adoption de la réforme du Bac en 2018-2019, la nouvelle procédure entendait jouer à plein des nouveautés de cette réforme. Rappelons que le nouveau Bac repose sur 5 éléments de poids différents :
En l’occurrence, la direction de Sciences Po Paris a profondément modifié les procédures de recrutement et en particulier en supprimant :
Ce qui a entraîné la décision à titre principal est la préoccupation croissante concernant l’accès inégal à des épreuves très sélectives. Cela introduit un biais social dans le recrutement, en contradiction avec l’objectif de diversification et d’ouverture de Sciences Po.
D’autre part, dans une ère dominée par la technologie et les nouvelles formes de communication, il est légitime de s’interroger : une épreuve écrite traditionnelle est-elle le meilleur baromètre des capacités et connaissances d’un étudiant ? La réforme a donc cherché à évaluer une gamme plus large de compétences et d’aptitudes, en se concentrant davantage sur l’ensemble du parcours scolaire, les expériences extrascolaires et les motivations des candidats pour intégrer Sciences Po.
Toutefois, l’attachement aux épreuves écrites est resté bien présent : la tenue dès le mois de mars de deux épreuves de spécialité à fort coefficient permettait d’intégrer leurs résultats dans Parcoursup. L’École avait ainsi, sur des matières proches de ses attentes, deux notes qui pouvaient orienter sa décision.
La décision du ministre de l’Éducation de modifier le calendrier du Bac, pour replacer les deux épreuves de spécialité au mois de juin, est venue perturber ces nouvelles procédures.
« Quand les épreuves étaient en mars, on complétait le dossier et les notes de contrôle continu de celles du Bac », explique aujourd’hui le directeur de Sciences Po Paris, Mathias Vicherat. Cela permettait à l’École de disposer d’une vision plus détaillée et objective des candidats. Le recul au mois de juin des épreuves rend cette possibilité caduque : leurs résultats ne peuvent plus être intégrés à Parcoursup, privant l’École d’un indicateur précieux. De fait, c’est une partie de l’architecture des admissions qui disparaît et le directeur compte bien y remédier, afin de retrouver un ensemble cohérent et suffisant d’éléments pour évaluer les compétences des candidats.
Faudra-t-il revenir à des épreuves écrites d’admissibilité ? C’est ce que laisse penser le directeur, pour qui il y aura « sans doute des changements lors de la procédure d’admission pour la rentrée 2024 ou celle d’après ».
En réalité, l’idée n’est pas si nouvelle. Quelques mois avant l’annonce du ministre, le directeur de Sciences Po en avait évoqué la possibilité. La place centrale de l’écrit reste en effet un impératif partagé par tous les responsables de l’École. L’ancien directeur précisait ainsi que l’écrit « constituait l’ossature de ce que nous dit le dossier du candidat ». Le recours aux notes des épreuves de spécialité permettait d’évaluer la capacité des candidats à s’exprimer par écrit dans les spécialités qu’ils choisissent.
Si le retour à un écrit d’admissibilité n’est pas encore acté, la direction réfléchit déjà à la manière dont celui-ci pourrait être administré sans contrevenir à la politique d’inclusivité qui est celle de l’École. Dans la perspective d’un examen écrit, comment faire en sorte d’éviter un retour des inégalités de recrutement ? Les travers imputés à l’écrit, sur préparation et déplacements le rendant inaccessible à de nombreux élèves, ne sont pas levés pour autant. C’est pourquoi les responsables réfléchissent à des innovations majeures en la matière.
Aujourd’hui, et surtout après les années Covid, les solutions techniques de cours et d’écrits en distanciel existent et sont déjà matures. Rien n’empêche donc de proposer aux candidats de produire un texte durant une session commune sur la France entière. Il existe des moyens de vérifier qu’il s’agit bien du candidat, évitant ainsi des fraudes graves.
Reste cependant l’épineuse question de la « triche » en direct. Chez soi, il est possible d’accéder à de nombreux outils d’aide, et en particulier d’interroger une intelligence artificielle, voire de lui faire rédiger le texte à rendre. ChatGPT est le cauchemar de nombreux professeurs qui sont bien en peine d’en prouver l’utilisation par leurs élèves.
Puisqu’il ne semble pas possible pour le moment de contrer son utilisation, pourquoi ne pas « faire avec » les IA ? C’est très sérieusement que le directeur de Sciences Po Paris évoque un examen demandant aux candidats d’utiliser l’intelligence artificielle. « C’est une logique intéressante de questionner la pédagogie à travers l’intelligence artificielle », explique-t-il. Dans une telle perspective, pourquoi ne pas envisager de demander au candidat de travailler sur un sujet donné : en faisant produire un texte structuré par ChatGPT (ou une autre IA), puis en rédigeant un contenu analysant le travail de l’intelligence artificielle de façon critique, mettant ses erreurs en exergue.
Ce serait une façon originale de proposer aux élèves d’interroger eux-mêmes leurs pratiques, tout en prenant en compte les dernières innovations en matière de connaissances. Cela permettrait également d’éviter toute possibilité de fraude. De plus, une telle épreuve ne nécessiterait aucun bachotage, laissant tous les candidats à un même niveau de préparation.