Publié le 13 octobre 2023 par Chloé de Cours Thalès. Mise à jour le 18 octobre 2023.
La Maïeutique qui forme les sages-femmes et la Pharmacie qui forme les gérants d’officine, sont deux filières médicales essentielles au bien-être et à la santé des Français. Il est particulièrement inquiétant de constater que depuis plusieurs années, elles peinent à former de nouveaux praticiens, faisant face à une désaffection préoccupante des étudiants. Comment expliquer un tel phénomène s’agissant de matières autrefois convoitées ? Et quelles sont les pistes de résolution de ce qui pourrait prochainement s’apparenter à un grave problème de santé publique ?
La désaffection des étudiants pour la Maïeutique et la Pharmacie est inédite
20 % de places vacantes en maïeutiques à la rentrée 2022, 10 % en 2023 : sur deux ans, cela représente plus de 300 étudiants qui n’ont pas été formés au métier de sage-femme. 30 % de places en formation de pharmacien inoccupées en 2023 et 14 % en 2023 : voilà 1500 futurs pharmaciens qui ne verront jamais le jour !
Il ne s’agit pas d’une « lente dégradation », mais bien d’une chute alarmante et brutale. Jusqu’au début des années 2020, ces deux professions ne connaissaient pas de problème majeur de recrutement et les formations faisaient le plein chaque année. Au point que certains dressent déjà un tableau très sombre de l’avenir de notre système de santé.
Quels sont les moyens d’accès à ces études de Maïeutique et de Pharmacie ?
La récente réforme des études de santé de 2019 a opéré une refonte des modalités d’entrée dans les études de santé. Il n’existait jusqu’alors qu’une seule voie pour y accéder : la PACES, Première Année Commune aux Études de Santé. Les étudiants choisissaient la filière qui les intéressait (médecine, odontologie, maïeutique, pharmacie) au cours de l’année de tronc commun et étaient soumis en fin de cette année à un concours, sur la base d’un numerus clausus. Ils avaient le droit de redoubler une fois leur Première Année Commune aux Études de Santé.
Depuis 2020, il existe deux accès spécifiques aux professions de santé : le PASS, ou Parcours d’Accès Spécifique Santé, qui revêt de nombreux points communs avec la PACES : il s’agit d’une année de préparation intensive aux études de santé, complétée d’une mineure à choisir. Il ne s’agit plus stricto sensu d’un concours, puisque le numerus clausus a été remplacé par un numerus apertus mais dans les faits, il faut être classé dans les premiers à l’issue des épreuves écrites de fin de semestre ou réussir l’oral de rattrapage du PASS si on souhaite passer en deuxième année, avoir la moyenne ne suffit toujours pas. Il n’y a pas de redoublement possible, mais la possibilité de continuer des études en deuxième année de LAS pour tenter une deuxième fois d’accéder à une des filières MMOPK ou dans une licence correspondante à la mineure si dans cette matière les résultats sont satisfaisants.
Une seconde voie a été ouverte : la LAS, Licence Accès Santé. C’est un peu l’inverse du PASS : on choisit une majeure entre plus d’une dizaine de disciplines, du droit aux mathématiques et une mineure santé. Selon ses résultats et son classement, le candidat peut alors intégrer une université proposant des études de santé.
Une conjonction de raisons explique en partie cette désaffection
La médecine est vue comme la voie royale
La médecine, avec son aura et son prestige, a depuis longtemps été mise sur un piédestal. Les nouvelles générations d’étudiants ont été élevées avec la télévision et des séries médicales innombrables qui valorisent le métier de médecin : chirurgiens, médecins internes, sauveurs de vie dotés d’une existence passionnante, leur image est la plupart du temps héroïque.
Une telle représentation valorisante reproduite sur deux décennies a certainement laissé des traces et imposé une vision fallacieuse : la santé, c’est la médecine, et plus précisément l’hôpital. De quoi faire déchanter par la suite de nombreux candidats !
De surcroît, cette image est véhiculée par de nombreuses institutions qui laissent penser que la médecine est la meilleure filière.
Les métiers de Maïeutique et de Pharmacie sont mal connus et affublés d’images négatives
L’une des conséquences de l’omniprésence médicale dans les représentations mentales de la santé est l’oubli progressif d’autres professions de santé. Beaucoup d’étudiants ne perçoivent de la maïeutique que les sages-femmes œuvrant en maternité et de la pharmacie l’image des officines.
Plus précisément, dans l’esprit de nombreux élèves de Terminale, la figure de la sage-femme s’apparente plus à celle de l’infirmière qu’à celle du médecin. Quant au pharmacien, il renvoie à l’image du commerçant de proximité plus que du vrai professionnel de santé aidant à protéger les patients.
La réforme des études de santé a accentué l’effet de ces biais d’images
Voici un effet pervers supplémentaire d’une réforme de la santé cumulant les dysfonctionnements : son implication dans la désaffection de deux filières essentielles. Ici, ce n’est pas le PASS qui semble en jeu. Les étudiants choisissant cette voie intègrent les filières santé à plein. Les places réservées dans les universités aux études de maïeutique et de pharmacie pour les étudiants de PASS sont bien remplies.
C’est la licence accès santé qui pose problème. Elle attire des étudiants qui sont moins certains de vouloir faire des études de santé que ceux de PASS, ou qui privilégient ce parcours en pensant qu’il leur sera peut-être plus facile d’être admis en études de santé. Dans l’ensemble, ceux qui ont pour ambition de s’orienter vers la santé ont une seule préoccupation : la médecine. Or, les universités réservent des places pour les étudiants de LAS. Si la filière médecine n’a pas de mal à faire le plein d’étudiants, il n’en va pas de même pour les autres spécialités.
Le président de la Conférence des doyens de faculté de pharmacie, Gaël Grimandi, le reconnaît : « Obsédés par l’injonction qui leur est faite d’avoir les meilleures notes, les étudiants en LAS n’ont pas le temps de regarder ce que sont les métiers de la santé et sont siphonnés par médecine et dentaire ».
Cette situation, si elle perdure, aura de graves conséquences sur la santé publique en France
La baisse du nombre de sages-femmes est un risque pour la santé des parturientes et des nourrissons
La désaffection pour les études de maïeutique est particulièrement alarmante. Les sages-femmes, au-delà de leur rôle pendant l’accouchement, assurent également le suivi pré et postnatal, veillant à la santé et à la sécurité de la mère et de l’enfant. Leur nombre est déjà insuffisant dans nombre de maternités. Leur raréfaction mettrait ainsi en péril les progrès remarquables effectués à la fin du siècle dernier dans la lutte contre la mortalité infantile.
De plus, avec le regroupement des établissements hospitaliers et en particulier des maternités, de nombreux territoires en sont aujourd’hui exempts. L’importance des sages-femmes libérales se déplaçant au domicile des femmes enceintes pour un suivi de grossesse est donc capitale. Dans un pays développé comme la France, chaque femme doit avoir accès à un suivi médicale de qualité tout au long de sa grossesse. Une diminution du nombre de sages-femmes pourrait remettre en cause ce droit fondamental.
Les pharmaciens sont un élément essentiel du système de santé
Les pharmacies, plus que de simples points de vente de médicaments, sont des lieux de conseils, d’orientation et de premier recours pour de nombreux patients. Elles jouent un rôle central dans la détection précoce des maladies et dans l’accompagnement des patients. Si la tendance actuelle se poursuit, certaines régions pourraient se retrouver sans pharmacie, obligeant les habitants à parcourir de longues distances pour avoir accès à des médicaments, aggravant ainsi la problématique des déserts médicaux.
Mais la pharmacie ce n’est pas que l’officine, loin de là. Sans les pharmaciens hospitaliers, les hôpitaux ne pourraient fonctionner. Et les nombreux pharmaciens qui travaillent dans la recherche des laboratoires pharmaceutiques participent à la création de nouveaux médicaments et aux progrès de la médecine !
Quelles sont les pistes pour remédier à cette situation ?
L’enjeu est de taille et concerne toute la société. Si la situation est critique, il n’est cependant pas trop tard pour redresser la barre. Plusieurs pistes sont évoquées pour aider la maïeutique et la pharmacie à retrouver la faveur des étudiants.
Mieux faire connaître ces professions via le tutorat et la communication
L’une des causes principales de la désaffection de ces filières est le manque d’informations autour des professions qu’elles représentent. Une étude a par exemple mis en évidence que moins de 3 % des étudiants en pharmacie estiment avoir été bien informés sur ces études pendant le lycée.
Les représentants des filières cherchent donc à multiplier les rencontres avec les lycées en se déplaçant dans les établissements : présentations, débats, vidéos, animations sont ainsi organisés et devraient l’être à une grande échelle. Elles permettront de mettre en avant la diversité des métiers, les opportunités de carrière et le rôle indispensable qu’ils jouent dans le système de santé.
Les initiatives comme le tutorat, où des étudiants guident et conseillent les plus jeunes, sont également essentielles. Par cette approche de proximité, les professionnels espèrent retrouver les faveurs des futurs étudiants.
Modifier le processus de recrutement
Clairement, le combiné PASS et LAS joue un rôle négatif dans le problème. La solution ? Mettre en place un système dans lequel les lycées peuvent choisir de suivre des études de pharmacie ou de maïeutique dès leur choix sur Parcoursup, en Terminale ; via une Licence Accès Pharmacie et une Licence Accès Maïeutique par exemple.
Valoriser ces filières dès le lycée, au lieu d’une orientation globale « santé », permettrait à la pharmacie comme à la maïeutique de retrouver de la visibilité et de limiter ainsi la concurrence avec la filière dentaire et la médecine. Ce n’est cependant pas dans les priorités du gouvernement qui n’a pas décidé de revenir sur cette notion d’année commune introduite par les PACES en 2010.
D’autres solutions plus légères sont avancées, qui ne remettraient pas la réforme en cause comme créer des passerelles en PASS et en LAS vers les formations de pharmacie et de maïeutique selon des modalités à définir.
Revaloriser les rémunérations et les conditions de travail des sages-femmes et des pharmaciens
Pour avoir envie de suivre des études spécifiques, il faut donner envie d’embrasser la profession à laquelle elles donnent accès. Or les conditions d’exercice peuvent être un frein.
Le métier de sage-femme est exigeant, tant physiquement qu’émotionnellement. Pourtant, la rémunération ne reflète pas toujours la complexité et l’importance de leur rôle. De nombreux stages sont mal rémunérés et les salaires dans les hôpitaux publics sont souvent jugés insuffisants. Une revalorisation est plus que nécessaire pour attirer de nouveaux talents dans la profession. Tout comme une nouvelle organisation des gardes et des horaires de travail.
Quant au pharmacien, il est souvent réduit à l’image de l’officine. Au-delà de la nécessité d’une communication pour rétablir la notoriété de la profession et la variété des métiers auxquels elle permet d’accéder, la question des officines reste centrale, on l’a vu. La baisse des revenus des pharmaciens d’officine est réelle, de même qu’une croissance de leurs charges de travail, liées à leurs nouvelles missions comme la vaccination.
Or les étudiants et jeunes diplômés sont aujourd’hui à la recherche d’une qualité de vie ménageant un équilibre entre vie professionnelle et vie privée. La pharmacie, ouverte 6 jours sur 7, peut-elle trouver un nouveau modèle de fonctionnement, laissant aux pharmaciens du temps à eux ? C’est aussi là le défi auquel cette profession doit faire face.