Publié le 06 juin 2024 par Chloé de Cours Thalès. Mise à jour le 07 juin 2024.
Créé en 1948 avec ceux de Toulouse et de Bordeaux, l’Institut d’Études Politiques de Grenoble fait partie des 11 IEP existant sur notre territoire. Prestigieux, réputé pour ses travaux, il enseigne aujourd’hui à plus de 2000 étudiants. En 2021, il a été pris dans une tourmente médiatique et politique qui peut faire penser aux remous suscités cette année 2024 par les manifestations des étudiants de Sciences Po Paris. Où en est aujourd’hui l’institut grenoblois, et pourquoi les IEP sont-ils souvent l’objet de mouvements étudiants ?
Sciences Po Grenoble, 75 ans d’histoire
L’IEP de Grenoble, fondé en 1948, a célébré en 2023 ses 75 ans d’existence. Depuis sa création, il est rapidement devenu une école reconnue. Parmi tous les IEP, il est le seul avec celui de Bordeaux à avoir conservé des liens étroits avec Sciences Po Paris. Les premières décennies ont été marquées par la consolidation de ses programmes académiques et l’augmentation du nombre d’étudiants. L’institut a rapidement diversifié son offre de cours pour inclure des disciplines telles que l’économie, la sociologie et le droit, en plus de la science politique.
S’il est si recherché par les étudiants, c’est que ses travaux ont depuis longtemps une répercussion notable dans le monde universitaire. Ainsi, l’IEP de Grenoble est-il aujourd’hui particulièrement renommé pour sa recherche fondamentale en politiques publiques et en sociologie politique. Il propose également des formations très poussées et des recherches appliquées en sciences sociales et il produit des études de référence sur les sondages, les partis politiques, etc.
Parallèlement à sa montée en puissance académique, l’institut grenoblois s’est largement ouvert à l’international. Ainsi, il compte chaque année 2000 étudiants sur les cinq années de ses cursus, dont 350 en mobilité internationale et 250 étrangers. La mise en place de partenariats avec des universités étrangères et la création de programmes d’échange y a fortement contribué.
En 2020, l’IEP Grenoble a pris une nouvelle dimension avec la création de l’Université Grenoble Alpes. Cette année là, tous les grands établissements d’enseignement supérieur public de la région Auvergne-Rhône-Alpes se sont regroupés, formant un établissement public unique et expérimental : l’UGA. S’y côtoient et y collaborent Grenoble INP (Institut d’ingénierie et de management), Sciences Po Grenoble, l’École nationale d’architecture de Grenoble ainsi que les différentes facultés de l’ex-université de Grenoble.
Cette initiative a permis de renforcer la synergie entre l’institut et l’université en consolidant leurs ressources et en multipliant les opportunités pour les étudiants et les chercheurs. De plus, les organismes nationaux de recherche, comme le CEA, l’INSRS, l’INRIA et l’INSERM sont associés étroitement à l’UGA. L’UGA fait ainsi partie des 10 meilleures universités françaises.
L’affaire des « affiches » a braqué les projecteurs sur Sciences Po Grenoble en 2021
En 2021, en pleine épidémie de COVID-19 et dans un environnement de confinement, l’IEP Grenoble s’est retrouvé au centre d’une polémique nationale suite à une affaire de collages accusant un professeur, Klaus Kinzler, de racisme, plus précisément d’islamophobie.
À l’occasion de l’organisation d’une table ronde, Klaus Kinzler, professeur de civilisation à l’IEP Grenoble, avait tenu des propos ciblant l’Islam, expliquant sur son blog que cette religion lui faisait « franchement peur, comme à beaucoup de Français ». Quelques jours plus tard, on trouvait sur la façade de l’École des affiches appelant à la démission du professeur et le traitant de « fasciste ».
Si la direction de l’IEP a condamné ces affiches, le professeur ciblé par ces attaques est intervenu dans plusieurs médias pour dénoncer son école, qu’il qualifiait de « camp de rééducation politique » et certains collègues coupables de « wokisme ». La direction a ensuite rapidement suspendu le professeur, suite à une enquête interne.
S’en est suivie une tempête médiatique et politique, au cours de laquelle le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes a supprimé les subventions qu’il versait à l’École. Des déclarations de responsables politiques ont continué à alimenter la polémique et les réseaux sociaux ont fait le reste. Puis le calme est progressivement revenu. Sur 17 étudiants poursuivis dans cette affaire devant la section disciplinaire de l’Université, 16 n’ont eu aucune sanction et un élève a fait l’objet d’une exclusion temporaire avec sursis.
L’IEP Grenoble est un laboratoire de débats et controverses, selon sa directrice
Lors d’un entretien récent dans la presse, la directrice de l’établissement, Sylvie Saurugger est revenue sur cette affaire et sur ses répercussions. Celle-ci a laissé des traces sur le personnel de l’IEP et certainement modifié les modes d’échanges au sein de l’institution. « Aujourd’hui, le débat s’est apaisé. Nous avons instauré un dialogue constructif, dans le respect de la pluralité des opinions ».
Des étudiants engagés dans les matières qu’ils étudient
Si l’affaire des affiches a durablement marqué les esprits, elle n’était ni la première ni la dernière des manifestations d’étudiants au sein de l’IEP de Grenoble. Au cours des dernières années, ceux-ci se sont aussi mobilisés contre la réforme des retraites ou plus récemment, contre un projet d’externalisation de l’entretien et du ménage de l’École. Un blocage des locaux a eu lieu, trois étudiants ont été suspendus. Et la participation à des actions concernant la situation des Palestiniens à Gaza a généré également plusieurs actions et une mobilisation dépassant le seul cadre de l’IEP.
La directrice rappelle que « par définition, les étudiants de l’IEP sont très politisés ». Faire le choix de suivre des formations en Sciences politiques, économie, histoire, droit international ou ambitionner des carrières qui permettent de peser sur la marche du monde, ce sont déjà des engagements reposant sur un questionnement des grands problèmes traversant notre planète. L’action semble ainsi une extension de la formation, elle donne l’illusion de pouvoir peser dès maintenant sur des décisions et des événements, de faire entendre sa voix, tout en débattant.
Sylvie Saurugger estime ainsi que « ces tensions sont le reflet de ce qui se passe dans la société ». Les actions, les mobilisations étudiantes seraient finalement le symptôme d’une époque « où les camps adverses deviennent de plus en plus incapables de se parler ». Son ambition est, non pas d’interdire les débats, mais bien au contraire de les laisser se développer, mais « selon des règles scientifiques ».
Reconnaissant que « dans les IEP, nous devons permettre à chacun de développer son analyse », elle insiste sur le fait que les écoles de Sciences Po sont des « laboratoires de débats et de controverses, qui doivent être nuancés ».
L’université et les IEP sont le lieu naturel du débat
L’engagement des étudiants sur des enjeux sociétaux ou géopolitiques n’est pas nouveau. Il a toujours existé, comme un bon indicateur de l’état démocratique de notre société et du monde qui l’environne. Actuellement, on assiste ainsi à une progression des mobilisations étudiantes concernant le conflit israélo-palestinien, non seulement dans les universités françaises, mais dans de très nombreux pays démocratiques dans le monde.
Bertrand Badie, éminent professeur de sociologie des relations internationales, qui a enseigné près de cinquante ans à Sciences Po Paris, dans un long entretien au Monde, analyse les manifestations et blocages de l’école sur le sujet palestinien. Il explique ainsi, un peu comme la directrice de l’IEP de Grenoble, qu’« une université est une communauté humaine, on ne peut pas empêcher que cette communauté débatte, se prononce soit unanimement, soit pour faire valoir les différences qui s’y sont exprimées ».
L’instrumentalisation des contestations étudiantes est, elle aussi, un grand classique. Pour Bertrand Badie, elle est dangereuse. Ce qui est exprimé dans les actions étudiantes est la plupart du temps éclairant sur un problème réel et profond. « Les jeunes… sont plus sensibles aux grandes questions du monde que leurs aînés, qui ont à l’esprit des problèmes économiques et sociaux, des difficultés concrètes de la vie quotidienne ». Les mobilisations étudiantes seraient ainsi des révélateurs d’enjeux parfois peu visibles médiatiquement.
Des IEP à l’écoute, des formations qui prennent en compte les grands enjeux contemporains
Alors finalement, quel est le rôle d’un IEP comme celui de Grenoble ? Former des étudiants à la marche du monde, à mieux en comprendre tous les enjeux et à trouver des solutions pour y répondre. D’une certaine façon, les actions étudiantes, les éruptions de colère qui peuvent s’y exprimer sont aussi des moyens de construire son esprit politique.
S’il ne s’agit en aucun cas de tolérer quelque violence, physique ou lexicale que ce soit, savoir entendre les appels des étudiants est une des grandes qualités des écoles de Sciences politiques. Ainsi, la crise des affiches à l’IEP de Grenoble a-t-elle certainement incité sa direction à engager des réformes d’ampleur afin de construire des ponts entre les disciplines afin d’analyser les problèmes sous des angles différents.
Sciences Po Grenoble rend d’ailleurs plus facile la coopération entre les sciences dures et les sciences sociales. L’École a ainsi récemment créé ce que sa directrice appelle des « parcours transversaux » sur la transition écologique et sur la transition numérique. Et l’on ne peut imaginer qu’il n’y ait pas de rapport entre l’épisode des affiches et la création récente d’une chaire « Gestion de crise » !
Si vous souhaitez rejoindre Sciences Po Grenoble après votre baccalauréat, sachez que ce cursus est très sélectif. C’est pourquoi nous vous conseillons de participer à l’une de nos Prépas Sciences Po afin de mettre toutes les chances de votre côté.