Les stages en Seconde sont-ils mal partis ?
C’est à la rentrée 2023 que Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale, annonçait que dès cette année scolaire, les lycéens de Seconde allaient faire […]
Depuis des années, les critiques sur le calendrier scolaire prennent de l’ampleur. En particulier sur la fin de l’année qui semblerait se rétrécir comme une peau de chagrin. Si les examens ont traditionnellement lieu au mois de juin, amputant l’année scolaire de quelques semaines pour les Terminales, les dernières réformes ont manifestement accru le phénomène. Conscient du problème, le ministre de l’Éducation nationale a annoncé l’obligation pour les élèves de Seconde de suivre un stage en entreprise dans la seconde quinzaine de juin. Le stage d’observation en Seconde facultatif sous Jean-Michel Banquer devient donc obligatoire sous Gabriel Attal.
Le second cycle a pour vocation de préparer les élèves au Baccalauréat et à leur orientation. Il comprend ainsi des épreuves d’examens et implique de faire des choix dans un calendrier restreint. Cela a conduit progressivement à une indisponibilité croissante des personnels enseignants pour assurer les cours en fin d’année. Cette « dérive » n’a pas été endiguée par la réforme du lycée de Jean-Michel Blanquer, bien au contraire.
La réforme du Bac intervenue en 2018 impactait essentiellement les classes de Première et de Terminale, en introduisant une toute nouvelle vision de l’orientation. Fini le choix de filières (Littéraire, Scientifique, Économique) à la fin de la Seconde. Désormais, tous les élèves de Première et de Terminakle générale poursuivent leur cursus dans un même tronc commun, mais ils ont à choisir 3 spécialités, parmi une large gamme de matières, pour leur année de Première, puis d’en conserver 2 parmi les 3 en Terminale. Ces spécialités constituent le cœur de la sélection pour les études supérieures.
Cette nouvelle organisation a conduit à modifier radicalement l’examen du Baccalauréat. Si les épreuves anticipées de français se déroulent toujours en fin de Première, les élèves de Terminale se retrouvent confrontés à une succession d’épreuves de nature différente.
Par essence, la réforme initialement pensée par le ministre Jean-Michel Blanquer reposait sur :
Ce calendrier permettait d’intégrer les notes des épreuves de spécialité dans les vœux sur Parcoursup. Ceux-ci doivent en effet être formulés au mois d’avril, afin que les établissements aient ensuite le temps d’analyser les candidatures et de faire leur propre sélection. Cette organisation bien pensée a cependant généré un effet pervers. Connaissant environ 80 % de leur note au Bac en avril, les élèves de Terminale ont massivement déserté les classes au troisième trimestre.
Face à un tel dysfonctionnement, le ministère de l’Éducation nationale a décidé de décaler les épreuves de spécialité. Elles sont désormais programmées en juin et ce dès 2024. Mais comme tout se tient dans ce calendrier infernal, cela a engendré d’autres complications :
Conseils de classe à préparer dès la fin mai et tout au long du mois de juin, examens à surveiller, à faire passer et à corriger dès le 14 juin : on le voit, la disponibilité des enseignants pour leurs élèves n’est pas maximale, surtout dans la seconde quinzaine du mois de juin.
Cela pose la question de la surcharge de travail pour les professeurs à cette période de l’année. Les syndicats se plaignent ainsi que ces nombreuses tâches les éloignent de leur capacité à suivre leurs élèves. C’est tout particulièrement le cas des élèves de Seconde qui n’ont pas d’examens, mais sont un peu les victimes collatérales de cette organisation à destination des Terminales.
Il existe aujourd’hui une obligation de faire un stage en entreprise en 3e. Celui-ci, d’une durée de cinq jours, a pour objectif de permettre aux élèves de découvrir le monde du travail et de bénéficier d’une première expérience concrète. Intégré au cursus scolaire, il est suivi pédagogiquement par les enseignants : rapport de stage, retour d’expérience, il a trouvé sa place dans les apprentissages.
L’idée du ministre est de rendre obligatoire la tenue du stage professionnel en Seconde, pendant la seconde quinzaine du mois de juin, celle-là même pendant laquelle les professeurs ne sont plus en capacité d’assurer leurs cours à cause des examens.
Les stages en Seconde, selon le ministère, permettraient d’équilibrer le mois et de fournir aux élèves une opportunité d’apprentissage en dehors de la salle de classe. Le rapport de stage serait un excellent moyen pour eux de mettre en pratique leurs connaissances et de se préparer pour l’année suivante.
Réponse assez simple à une problématique complexe, le ministre a-t-il trouvé la bonne formule ? Comme d’habitude, une inquiétude assez unanime s’est immédiatement manifestée parmi les enseignants et leurs représentants.
L’intérêt du stage de 3e, au-delà de la première confrontation des élèves avec le monde du travail est qu’il est encadré par un enseignant. L’élève est suivi, son choix discuté avec un professeur. Puis l’élève doit rédiger un rapport de stage qui convoque des compétences en plusieurs matières.
En seconde, l’expérience pourrait se reproduire à l’identique. Sauf que la période du stage avant les vacances d’été laisse à penser que les enseignants n’auront aucune possibilité d’intervenir à son propos. Déjà fort occupés par les examens puis les corrections, ils seront indisponibles pour tout encadrement.
De plus, le calendrier fait que la fin du stage correspondra peu ou prou à la fin de l’année scolaire. Quid de la rédaction d’un rapport de stage ? Sur quel temps ? À qui pourrait-il être remis alors même que l’année serait finie ?
Ainsi, on voit mal la vertu pédagogique de ces quinze jours pour les élèves. C’est ce que martèlent les représentants des chefs d’établissements comme des enseignants : « ce stage en fin d’année est mal placé, puisqu’on aura beaucoup de difficultés à l’exploiter a posteriori ».
On sait que le stage de 3e est déjà propice à une inégalité entre les élèves. À ceux issus de familles disposant de réseaux professionnels dans des secteurs professionnels dits « valorisés” (cadres en entreprise, professions libérales, etc.), avec des stages « intéressants » dans ces mêmes milieux. Aux autres, des stages « débrouille », souvent cantonnés à des métiers à “faible valeur ajoutée”.
Ces stages de Seconde ne risquent-ils pas de reproduire une fois encore cette inégalité, et de l’approfondir, puisque répétés d’une année sur l’autre ? C’est ce que redoutent les professionnels. Comme ce proviseur d’un lycée professionnel : « Si ce n’est pas le lycée qui régule ça, ce sera à la main des parents… On va donc refabriquer un système de reproduction sociale… Avec tel élève qui va au kebab et tel autre dans un cabinet d’avocats ».
Dans les négociations promises avec les syndicats, trouvera-t-on une solution pour éviter ce grave écueil ? L’Éducation nationale a-t-elle les moyens — et le temps — de proposer aux élèves un lot de stages diversifiés ? Ou, comme pour les stages de 3e, chacun devra-t-il trouver par lui-même son entreprise ?
Autre crainte : en juin, les lycées professionnels, les CAP et le BTS organisent déjà des stages diplômants pour leurs élèves et étudiants. La recherche de stages en Seconde en juin entre ainsi en concurrence directe avec ces stages de lycées professionnels et des centres de formation des apprentis. Le secrétaire général du SNPDEN (Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale) l’exprime sans détour : « Le tissu économique et associatif ne pourra pas absorber 550 000 nouveaux élèves de Seconde en stage en juin ».
Il est certes trop tôt pour tirer des conclusions négatives sur cette proposition qui semble déjà conçue comme une obligation dès 2024. Des discussions entre syndicats et ministère vont avoir lieu. Elles déboucheront peut-être sur des améliorations sensibles de la proposition, répondant point par point aux pièges décrits plus haut.
Dans l’attente de cette consultation, c’est cependant un grand scepticisme doublé de fortes craintes, qui prédominent. L’impression d’une mesure prise à la va-vite et destinée à « occuper » les élèves de Seconde est partagée par de nombreux enseignants. La mise en place d’une garderie déléguée aux entreprises pour pallier les problèmes de l’Éducation nationale… Il est urgent pour le ministre de s’attaquer à cette vision péjorative de son initiative, en apportant des réponses claires et concrètes aux enseignants.
Bon à savoir : Cours Thalès des stages de remise à niveau en fin de Seconde afin de revoir le programme de l’année et de partir en vacances sans lacune.