Publié le 28 octobre 2024 par Chloé de Cours Thalès.
La réforme des études de santé mise en place en 2020 avait plusieurs objectifs. Dans un contexte de désertification médicale, il s’agissait de recruter plus d’étudiants en médecine, et d’en varier le profil et la provenance. La première mesure a été d’ouvrir deux voies d’accès, avec l’espoir d’élargir le vivier de candidats en visant une répartition égalitaire des places en médecine en PASS et en L.AS. Toutefois, il existe encore des disparités importantes en faveur de la première. C’était le cas jusqu’à présent à Sorbonne Université. Un changement mal géré en 2024 de cette répartition a mis le feu aux poudres et soulevé l’ire des étudiants. Voici pourquoi.
La réforme de l’accès aux études de médecine induit une concurrence entre PASS et L.AS
La réforme de 2020 a donc introduit deux parcours d’accès aux études de médecine : le Parcours accès santé (PASS) et la Licence accès santé (LAS).
Le premier, héritier de l’ancienne PACES (Première année commune aux études de santé) très sélectif, est axé, en majeure, sur les études de santé, mais qui impose également une discipline mineure. Cela pour permettre aux étudiants qui ne passeraient pas en seconde année d’études de santé et qui n’ont pas le droit de redoubler, de poursuivre un cursus autour de la discipline mineure et de n’avoir pas perdu une année d’études. Ce parcours est souvent jugé plus adapté pour réussir l’examen d’entrée en études de médecine, ce qui explique pourquoi de nombreux étudiants le choisissent.
À l’inverse, la L.AS permet aux étudiants de suivre une licence en dehors du domaine médical tout en bénéficiant d’un enseignement complémentaire en santé. L’ordre entre majeure (ici une discipline hors santé) et mineure (santé) est inversé. Les étudiants ont alors le choix de présenter l’examen menant aux études de santé en première, seconde ou troisième année de licence. Cette nouvelle voie a été conçue pour diversifier les profils des futurs médecins. Mais dans la pratique, depuis la réforme, il se révèle plus difficile d’accéder à la filière médecine par ce biais, notamment en raison du nombre de places en études de médecine et des exigences des universités.
Dans tous les cas, un étudiant ne peut présenter plus de deux fois l’examen pour entrer en seconde année d’études de santé. Un candidat recalé à l’issue du PASS a ainsi la possibilité de s’inscrire en L.AS pour retenter sa chance une fois. De même, les étudiants en licence accès santé peuvent tenter leur chance deux fois.
Très clairement, les deux ministres à l’initiative de la réforme, Olivier Véran (ministre de la Santé) et Frédérique Vidal (ministre de l’Enseignement supérieur), souhaitaient une « égale dignité » entre les deux voies, un recrutement 50/50.
Le pas de clerc de Sorbonne Université dans la redistribution des places en médecine, ou l’art de mécontenter tout le monde
Depuis la mise en place de la réforme, Sorbonne Université ne suit pas les directives officielles, bénéficiant chaque année d’une dérogation pour recruter 70 % des étudiants en études de santé via la filière PASS et 30 % en L.AS.
Le mécontentement des étudiants de PASS
Les difficultés sont venues de la non-parution de cet arrêté de dérogation pour l’année 2023-2024. Alors que les étudiants de PASS avaient entamé leur année sur l’idée que 303 des 434 places d’accès aux études de santé étaient réservées à leur filière, en janvier 2024 l’Université s’est vue contrainte d’appliquer la parité. Soit 217 places en médecine en PASS et 217 en L.AS.
Aussitôt, les étudiants de PASS se sont sentis lésés : informés en janvier 2024, bien après les inscriptions en PASS de ce changement de règles, ils voyaient leur filière amputée de 86 places, soit près de 30 % de ce qui leur paraissait la norme. Cette réduction des chances, dans un contexte où l’on ne peut passer l’examen que deux fois, en amenait un certain nombre à s’interroger sur la mauvaise stratégie qu’ils avaient adoptée. Dans cette configuration, il paraissait en effet plus « facile » d’intégrer les études de santé via la L.AS. Pour protester et demander de revenir au nombre de places initial, un collectif d’étudiants de PASS a lancé une pétition réunissant près de 2000 signatures.
L’université a réfuté l’accusation d’un changement de règles, arguant qu’il n’avait jamais été question d’un ratio 70 pour les PASS et 30 pour les L.AS. Si, effectivement, rien n’avait été annoncé, aucun message n’avait non plus invalidé l’idée d’une reconduction à l’identique de ce qui se faisait jusqu’à présent. En l’occurrence, elle en restait à cette répartition des places en médecine.
La déconvenue des étudiants de L.AS
Le mécontentement des uns a évidemment fait la satisfaction des autres. Les candidats en L.AS voyaient le nombre de places qui leur étaient réservées bondir de 134 à 217. Autrement dit, un étudiant en L.AS devait être admis en seconde année d’études de santé à partir du moment où il était classé au moins 217e à l’examen.
Malheureusement pour eux, tout ne s’est pas passé exactement comme prévu. En effet, à l’issue des examens, l’université a instauré une note minimale, en dessous de laquelle un candidat de L.AS bien classé ne pouvait pas prétendre à intégrer les études de médecine. Si la note globale était inférieure à 12,20, le candidat était éliminé. Ce qui, de facto, a interdit à 48 candidats bien classés de rejoindre le cursus santé.
Ainsi, les L.AS avaient gagné 86 places, mais en perdaient 48 ! Sorbonne Université a pris la décision de les réaffecter aux étudiants de PASS, dans un bel imbroglio difficilement compréhensible. La colère est donc passée du côté des candidats en L.AS. Une action en référé introduite par 14 étudiants a été jugée légitime, le juge suspendant l’exécution de la délibération du jury de la licence d’accès santé. Comme il s’agit d’une histoire à rebondissements permanents, deux jours après cette décision, le tribunal administratif a réattribué les 48 places de médecine aux candidats au PASS.
Un embrouillamini symptomatique d’une série de réformes mal cadrées
Le résultat de cette série de dysfonctionnements ressemble à un vrai gâchis : la crédibilité et la sincérité de Sorbonne Université en sortent affaiblies, les étudiants de PASS comme de L.AS écœurés. L’actuelle ministre de l’Éducation nationale a fait savoir qu’il n’y aurait plus de dérogation et que désormais, le ratio 50/50 devrait être respecté.
Le doyen de la faculté de Santé à Sorbonne Université, Bruno Riou, fait partie des critiques de la réforme. Selon lui, « le niveau des étudiants en PASS est sans commune mesure avec celui des L.AS ». D’autres voies auraient pu être explorées, à l’image de l’expérimentation que menait sa faculté. Mais sans même attendre une évolution de cette possible alternative, la création des deux voies, dont la L.AS a été actée.
Il semble que de nombreuses mesures prises depuis quelques années pour faire évoluer les études de santé présentent encore actuellement de nombreuses failles :
L’autonomie laissée aux universités pour organiser les oraux d’admission en seconde année de santé a, par exemple, abouti à des situations parfois profondément injustes. Il a fallu attendre un décret de juillet 2024 pour que ceux-ci soient enfin cadrés et, en partie, uniformisés ;
- Les majeures autorisées dans les L.AS sont souvent critiquées : un étudiant qui entame une licence de droit avec mineure santé est-il en mesure de réussir l’examen pour l’admission en seconde année d’études de médecine ? Pour l’instant, la question n’est toujours pas réglée ;
- En est-il fini des nombreuses dérogations demandées par les facultés de médecine pour privilégier la voie PASS, démarches qui vont à l’encontre des objectifs de la réforme ?
- La réforme de l’examen donnant accès à l’internat, entrée en vigueur en 2023, a occasionné une baisse importante de candidats, générant une vaste désorganisation, y compris dans les services hospitaliers…
N’y at-il pas moyen, désormais, d’évaluer en amont une mesure dans son intégralité et ses conséquences avant de la généraliser ? Les études de médecine étaient jusqu’alors difficiles et sélectives. Est-il judicieux de les rendre — un peu — chaotiques dans un paysage de pénurie de professionnels de santé ?