Vers une réforme de la réforme du second degré ?
Stress des élèves et des enseignants, désertification des classes au troisième trimestre, qualité de certaines épreuves du Bac contestée… La planète éducation est en effervescence. […]
/ Préparation Bac
Les premières épreuves de spécialités, telles qu’elles étaient prévues dans la réforme Blanquer du Bac, ont enfin pu rencontrer des conditions normales. Après deux années au cours desquelles elles ont été adaptées à la pandémie de la Covid-19, la mouture 2023 a-t-elle convaincu le monde enseignant ?
Afin d’éviter une spécialisation presque sans retour, la réforme invite les élèves à choisir dès la classe de Seconde trois enseignements de spécialités. Le choix est très ouvert, en rapport avec les domaines de prédilection et les objectifs des lycéens. Au-delà des 12 thématiques disponibles pour le Bac Général, les élèves scolarisés en lycées agricoles pouvaient aussi choisir l’enseignement « biologie écologie », alors que des spécialités plus techniques étaient proposées en Bac Technologique.
Les trois matières au choix sont ainsi travaillées en classe de Première, mais les élèves doivent n’en garder que deux en Terminale. Ce sont celles-ci qui donnent lieu aux épreuves terminales du Bac.
Testées en conditions réelles pour la première année, ces épreuves qui ont fait polémiques dès leur annonce ont-elles réussi à convaincre les nombreux sceptiques ?
Il s’agissait d’organiser les examens au tout début du troisième trimestre scolaire, afin de laisser près de trois mois pour travailler les autres matières, avant le Grand Oral concluant le Baccalauréat.
Or en 2021 comme en 2022, le passage à ces nouvelles épreuves de spécialités a été marqué par de nombreux dysfonctionnements : enseignants insuffisamment préparés, ressources limitées, complexité de mise en œuvre des épreuves qui ont conduit à différer les épreuves à la fin de l’année.
La mouture 2023, après ces deux années de rodage et dans une année sans incident notable, allait-elle faire taire les critiques et montrer la force du nouveau dispositif ?
L’une des questions portait en particulier sur la date des examens : le début mars n’était-il pas trop tôt pour une évaluation sur des connaissances fraîchement acquises ?
Les quelques erreurs de notation des précédentes sessions allaient-elles être définitivement réglées et faire enfin taire les contestations ?
De même, l’inquiétude des élèves portait sur le fait que ces notes allaient, pour la première fois, compter pour le choix des études supérieures dans Parcoursup. Un raté ne risquait-il pas de compromettre tout l’avenir des étudiants ?
Les résultats sont tombés le 12 avril. Le bilan est tout au moins contrasté : loin d’apaiser les critiques, cette session n’a pas convaincu les opposants à la réforme ni certains enseignants non partisans.
Alors que le Baccalauréat proposait aux épreuves écrites de chaque matière le même sujet pour les candidats d’une même filière, les épreuves de spécialités changent la donne. Il semble en effet que d’un jour à l’autre, les sujets n’aient pas toujours le même niveau de difficulté, rompant ainsi avec l’égalité de traitement de l’examen national.
Les rectorats et le ministère minimisent ce facteur, jugeant impossible, pour des raisons organisationnelles, de donner le même sujet par spécialité à tous les élèves sans générer des fuites de sujets puisqu’ils ne composent pas tous le même jour. Pourtant, le problème semble bien réel. Les exemples se multiplient : des notes très faibles affectées aux élèves passant en première journée et des résultats bien meilleurs le second jour pour leurs camarades. Tous avaient le même professeur, le même niveau. Seule variable différenciante : le sujet d’examen.
Faut-il incriminer les épreuves de spécialités ? Dans tout examen portant sur de grands nombres de candidats, on note des incidents difficiles à anticiper. Mais en complexifiant considérablement la procédure, ne parvient-on pas mécaniquement à en multiplier le nombre ?
Cette année, l’épreuve de droit-économie du Bac STMG en est l’illustration parfaite. Imaginez les candidats stressés commençant à rédiger leur copie quand, 40 minutes après le début de l’épreuve, on leur demande de tout arrêter : le sujet avait fuité sur internet. Après plus d’une heure d’interruption, les voilà tenus de reprendre à zéro, sur un nouveau sujet, jugé de l’avis de tous beaucoup plus difficile que le premier.
Ce genre de problème, très déstabilisant, est reproductible sous une forme ou une autre dans de nombreuses épreuves : erreurs de sujets, fuites, retard de remise des sujets, etc. Autant d’occasions pour le candidat de perdre ses moyens.
Les processus de correction qui portent sur des centaines de milliers de copies doivent être irréprochables. Pari impossible à tenir ?
Les copies des élèves sont numérisées, afin que des correcteurs des quatre coins de la France puissent travailler sur les travaux d’élèves répartis dans toutes les régions. Ainsi, pas d’effet de biais ni de halo. Le principe est compréhensible et louable. Sauf que…
Les correcteurs ont accès aux copies numérisées sur le logiciel Santorin. Une fois corrigées par leur soin, les copies peuvent être consultées par les inspecteurs pilotes des épreuves, à des fins d’harmonisation des notes.
Or manifestement, pour un certain nombre de correcteurs, c’est aussi là que le bât blesse. En 2022 déjà, les syndicats du secondaire dénonçaient une harmonisation massive, visant à relever systématiquement les notes de certaines filières ou de certaines matières, sans aucune consultation.
Ce phénomène se serait reproduit avec une ampleur comparable cette année dans de nombreuses académies. Si le principe de l’harmonisation n’est pas contesté en lui-même, son apparent systématisme dans certains cas choque. Ce que le Ministère réfute, estimant qu’en moyenne, seules 5 à 10 % des notes sont harmonisées.
Qui croire ? En tout état de cause, qu’elle soit générale ou minoritaire, cette harmonisation opérée via le logiciel Santorin reste assez peu transparente.
Au vu de ces difficultés, de nombreux professionnels demandent à tout le moins des aménagements et des évolutions dans l’organisation de ces épreuves de spécialités. Pourtant, même si des recours sont possibles, ils ne le sont que dans le cas d’erreurs techniques.
Tout ce qui peut être amélioré doit l’être, au regard de l’enjeu de ces épreuves pour l’avenir des lycéens. Il faut savoir qu’un candidat se jugeant mal noté n’a pas de possibilité de recours.
Ainsi, les mauvaises notations dues aux problèmes de numérisation sont recevables, de même que d’éventuels ratés dans les horaires ou la distribution des sujets sur place. Mais la note médiocre due à un sujet trop difficile ou au manque d’aménité du correcteur devant une copie qui ne démérite pas restera immuable, comme dans tout examen national.
Pourtant, ces dysfonctionnements doivent être ajustés au mieux, pour diminuer ces cas que les candidats prennent souvent comme des injustices et qui sont massivement relayés par les médias, concourant encore davantage à la mauvaise réputation de l’Éducation nationale.
Les syndicats d’enseignants souhaitent être entendus par le Ministère pour que des mesures correctives soient prises. Parmi celles-ci :
Reste l’épineuse question de la date des épreuves. Les organiser à la rentrée des vacances d’hiver est largement critiqué par le monde enseignant, selon deux arguments complémentaires :
Cela amène une majorité d’enseignants à demander que ces épreuves soient repoussées, comme les années précédentes, en fin d’année scolaire.
Il serait évidemment facile de tirer sans discernement à boulets rouges sur l’organisation et le fond de ces épreuves de spécialités en Terminale. Faire passer en quelques jours deux écrits à 536 000 candidats est une prouesse qui ne peut éviter quelques couacs. Le tout est de savoir si ceux-ci sont restés dans une marge raisonnable et incompressible ou si des améliorations notables doivent y être apportées.