Les différentes voies pour intégrer une école d’ingénieurs
Les écoles d’ingénieurs ont plutôt le vent en poupe aujourd’hui. Le manque d’ingénieurs en France pour relever les défis économiques et environnementaux qui se profilent […]
Bien que la société française ait beaucoup évolué, en particulier en matière de mœurs, il reste encore de nombreuses poches de résistance difficiles à faire disparaître. Ainsi en est-il, en matière d’égalité des genres, de la sous-représentation des femmes dans les études d’ingénieurs. En laissant perdurer une telle situation, la France se priverait de nombreux atouts et risquerait d’échouer à répondre aux enjeux majeurs auxquels elle fait face : crise climatique, prospérité économique dans un monde toujours plus compétitif, etc. Les grandes écoles d’ingénieurs multiplient ainsi les initiatives pour améliorer la mixité chez leurs étudiants.
Commençons par démonter une idée encore largement répandue : non, les filles ne sont pas moins douées pour les matières scientifiques que les garçons. Partout dans le monde, elles montrent des compétences équivalentes à celles des garçons. Au collège et au lycée, les jeunes filles sont aussi nombreuses que les garçons, voire plus, à exceller dans des disciplines comme la Physique, la Chimie et les Mathématiques.
Après le Bac, les étudiantes sont aussi nombreuses que les étudiants, ou même parfois majoritaires, dans des filières scientifiques prestigieuses : dans les études de médecine, on compte aujourd’hui 60 % de femmes. De même, en biologie ou en pharmacie. De fait, dans les matières traitant du vivant et de la santé, les femmes sont très présentes. À l’inverse, elles sont très minoritaires dans les études supérieures d’Informatique, de Mathématiques, ou de Physique-Chimie.
Malgré des compétences hommes — femmes équivalentes en sciences, la situation dans les écoles d’ingénieurs françaises reste largement dominée par les hommes : aujourd’hui, plus de deux étudiants sur trois en écoles d’ingénieurs sont des hommes. Selon les données récentes, les femmes représentent environ 28 % des effectifs des écoles d’ingénieurs, un chiffre qui a certes évolué positivement depuis trente ans, mais qui demeure insuffisant. Dans les années 90, ce pourcentage se situait autour de 15 %, ce qui montre une progression lente, mais continue. Cependant, cette évolution reste trop faible pour atteindre une parité satisfaisante à court terme.
Plusieurs facteurs expliquent cette sous-représentation chronique des filles dans les écoles d’ingénieur. D’une part, les stéréotypes de genre persistants dissuadent souvent les jeunes filles de s’orienter vers ces carrières. Les idées reçues selon lesquelles les sciences de l’ingénieur seraient « réservées aux hommes » influencent encore beaucoup trop les choix d’orientation. De plus, ce phénomène est accentué par le manque de modèles féminins dans ce secteur, rendant difficile pour les filles de se projeter dans une carrière d’ingénieure. La méconnaissance de la diversité des métiers d’ingénieur vient compléter un triptyque qui contribue ainsi à détourner les filles de ces formations.
Enfin, la récente réforme du Baccalauréat, qui permet aux élèves de choisir des spécialités et a supprimé un tronc commun comprenant des enseignements de Mathématiques, a eu des effets dévastateurs : la concurrence des spécialités a conduit de nombreuses élèves à ne pas opter pour la spécialité Mathématique, leur barrant ainsi la route à une candidature en école d’ingénieurs. Heureusement, se rendant compte de son erreur, le gouvernement a réintroduit depuis 2023 un enseignement de Mathématiques pour tous en Première.
Au-delà de la juste exigence de parité dans les métiers et les formations d’ingénieurs, la faiblesse des effectifs féminins impacte négativement la réponse aux grands enjeux présents et futurs. La volonté de « réindustrialiser » la France ne peut réussir que s’il existe suffisamment de professionnels susceptibles d’y participer. Aujourd’hui, il manquerait environ 10 000 nouveaux ingénieurs chaque année pour combler les besoins des secteurs industriels en développement. Or les écoles d’ingénieurs, en peinant à attirer les filles, se privent de nombreux effectifs et ne parviennent pas à augmenter suffisamment le nombre de leurs étudiants.
Par ailleurs, les défis auxquels se trouve confrontée notre société sur une planète en souffrance requièrent une diversité de modes de pensée, de créativité et d’intelligences pour parvenir à y répondre de manière satisfaisante. Une meilleure représentation féminine permettrait d’apporter d’autres manières de s’attaquer aux problèmes, de concevoir des solutions, de les relier à d’autres idées. La sous-représentation persistante des femmes ingénieures conduit à priver le pays d’une richesse et d’une variété de pensée et d’expériences pourtant essentielles aujourd’hui.
Face à cette situation préoccupante, la Conférence des directeurs des Écoles françaises d’ingénieurs (CEDEFI) n’est pas restée immobile. Dès 2011, la CEDEFI a lancé le projet Ingénieuses, une initiative visant à promouvoir les carrières d’ingénieurs auprès des jeunes filles et à lutter contre les stéréotypes de genre. Ingénieuses a pour objectif de susciter des vocations scientifiques chez les filles dès le plus jeune âge.
Cette initiative prend la forme d’une campagne de communication nationale et d’un concours annuel, sur appels à projets :
Ce programme a déjà donné lieu à de belles réalisations, toutes dirigées vers l’objectif de populariser les études d’ingénieur auprès des filles. À titre d’illustration, en 2023, les prix distribués ont récompensé :
En 2021, la CEDEFI a souhaité renforcer son engagement en créant le label Cap Ingénieuses. Ce label distingue des établissements et des projets qui mettent en œuvre des stratégies efficaces pour attirer davantage de jeunes filles dans les filières d’ingénieurs. Il vise à mettre en valeur des projets pérennes de découverte des sciences et technologies menés par des écoles d’ingénieurs auprès de classes de collège et d’écoles primaires. La validité du label est de trois ans, ce qui permet d’installer des actions dans la durée.
Le jury chargé de décerner le label Cap Ingénieuses est composé de représentants de la CEDEFI, de professionnels de l’éducation, et de spécialistes des questions de genre. Il évalue les candidatures sur la base de critères précis tels que l’impact des actions menées, l’originalité des initiatives et leur potentiel de reproduction dans d’autres contextes.
Depuis sa création, le label Cap Ingénieuses a distingué plusieurs dizaines d’initiatives. Chaque année, et désormais tous les deux ans, près d’une cinquantaine de projets sont proposés, soutenus par autant d’écoles d’ingénieurs, signe de l’engagement des écoles d’ingénieurs dans cette cause. Parmi les actions proposées par les candidats, venaient en tête les ateliers scientifiques, des interventions sur l’égalité des genres et les stéréotypes, des rencontres avec des élèves ingénieures et des femmes ingénieures ou l’organisation d’événements spécifiques.
Ainsi, en 2024, parmi les écoles ayant reçu le label « Cap Ingénieuses », on notera des projets innovants et originaux :
Ces actions prodiguées par les écoles d’ingénieurs de toutes tailles et toutes notoriétés sont un moyen novateur et puissant d’inverser la tendance en matière de recrutement des élèves ingénieurs. Elles contribuent à la popularisation des métiers de l’ingénierie et au goût des sciences. Elles ciblent en premier lieu l’image stéréotypée de l’ingénieur qui est aujourd’hui le frein majeur aux carrières féminines d’ingénieur. Pour qu’elles portent pleinement leurs fruits, il est malheureusement vraisemblable qu’il faille attendre plusieurs années : déconstruire des idées reçues, c’est modifier les mentalités et cela prend du temps.