Qui est Gabriel Attal, le nouveau ministre de l’Éducation nationale ?
Pour remplacer Pap Ndiaye au ministère de l’Éducation nationale, le Président a choisi Gabriel Attal. À un universitaire reconnu pour la qualité de ses travaux, […]
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C’est à la suite de la déclaration du Président de la République en mars 2023 que l’idée du nouveau pacte enseignant a vu le jour : « Je souhaite qu’à la rentrée prochaine, on puisse remplacer du jour au lendemain les professeurs ». Pour répondre à cette promesse de campagne, les services du ministère de l’Éducation nationale se sont activés. Une note de service présentée fin juin définit l’organisation générale du pacte, immédiatement et unanimement rejetée par l’ensemble des syndicats d’enseignants. Quelles sont les mesures proposées dans ce pacte ? Pourquoi cela coince-t-il avec les représentants des enseignants ? Les ambitions de cette initiative sont-elles réalistes ? Autant de questions auxquelles cet article tente de répondre.
Tout le monde s’accorde sur le fait que ce document, dont le champ se veut large, a pour vocation principale de traiter la question des remplacements de courte durée ou RDC. Véritable phénomène endémique aux conséquences potentiellement catastrophiques sur la scolarité des élèves ou problème mineur, tous ne s’accordent pas sur la question. C’est pourtant sur la base de chiffres inquiétants qu’a été conçu le dispositif proposé.
Dans une interview au Parisien, le 2 avril 2023, le ministre de l’Éducation nationale d’alors, Pap Ndiaye estimait à 15 millions d’heures d’enseignement non remplacées chaque année à cause des absences de courte durée. Mettre en avant un chiffre aussi impressionnant mérite en effet qu’on s’attache à traiter le problème urgemment.
Cependant, certains restent sceptiques sur cette évaluation. Ainsi, un rapport de la Cour des comptes de décembre 2021 estimait le nombre d’heures d’absences de courte durée par an à 2,5 millions, dont 500 000 étaient remplacées.
Qui croire ? La Cour des comptes mettait également en avant « un phénomène mal mesuré et peu piloté ». Autrement dit, les chiffres avancés par le ministre restent sujets à caution. D’où vient ce chiffre de 15 millions d’heures ? Les syndicats avancent une explication : le ministre mélangerait les absences de courte durée avec les arrêts de longue durée, bien mieux couverts. De quoi alimenter une polémique sur les raisons réelles du pacte.
Selon la note de service, l’idée est de proposer aux enseignants volontaires des missions complémentaires « plus attractives et mieux rémunérées ». Plus précisément, le pacte introduit un nouveau dispositif d’indemnisation. Celui-ci instaure une part fonctionnelle de l’indemnité de suivi et d’orientation des élèves (ISOE) et de l’indemnité de suivi et d’accompagnement des élèves (ISAE) correspondant à l’exercice de missions complémentaires. Cela à chaque degré : écoles, collèges, lycées d’enseignement général et technologique, lycées professionnels.
Ce dispositif concerne l’ensemble des personnels enseignants, ainsi que les conseillers principaux d’éducation et les psychologues de l’Éducation nationale. Il s’applique indifféremment aux titulaires comme aux contractuels. Sur la base du volontariat, ceux-ci peuvent ainsi assurer des missions complémentaires, soit sous la forme d’un volume horaire annuel, soit d’un engagement annuel selon les missions.
Afin, sans doute de ne pas uniquement focaliser sur la question de remplacement de courte durée, qui reste cependant l’objectif essentiel du pacte, les missions sont définies selon deux ensembles :
Point fondamental du dispositif, chaque mission fera l’objet d’une rémunération forfaitaire de 1250 € brut annuels, ce qui correspond à une part fonctionnelle de l’ISOE ou de l’ISAE.
ISOE : L’Indemnité de Suivi et d’Orientation des Élèves
ISAE : L’Indemnité de Suivi et d’Accompagnement des Élèves
Au-delà de cette architecture générale, la note de service en détaille les différentes missions et, pour chacune d’entre elles, les objectifs, les priorités et le volume horaire.
Six missions sont définies pour les enseignants du premier degré, dont les deux premières nécessitent que les professeurs des écoles interviennent en classe de sixième des collèges.
1. Des sessions de soutien ou d’approfondissement en mathématiques et en français en classe de 6e. Pendant ces sessions, sur une durée de 18 heures, l’enseignant encadre les séances dont il aura élaboré le programme et assure le suivi des élèves, en évaluant leur progrès en français et en mathématiques. Une bonne coordination avec les enseignants de la classe de 6e est indispensable.
2. Intervention dans le dispositif Devoirs faits en classe de 6e. D’une durée de 24 heures, la mission implique que l’enseignant accompagne les élèves à la réalisation des devoirs, qu’il participe aux réunions de coordination Devoirs faits et assure le suivi des élèves en lien avec leurs professeurs.
3. Intervention dans les dispositifs « stages de réussite » et « École ouverte ». Étalée sur 24 heures, la mission concernant les stages de réussite a pour objectif de renforcer la maîtrise des savoirs fondamentaux par les élèves. À son issue, un bilan d’activité est remis au chef d’établissement ou à l’inspecteur de l’éducation nationale. Quant au dispositif École ouverte, il encourage à l’ouverture culturelle ou sportive propre à soutenir le parcours de formation de l’élève.
4. Soutien aux élèves rencontrant des difficultés dans les savoirs fondamentaux. Les 24 heures consacrées à cette mission viennent s’ajouter aux activités pédagogiques complémentaires (APC). Le professeur des écoles y assure un soutien supplémentaire pour les élèves « fragiles » et assure la communication avec l’équipe éducative et la famille. Ici également, un bilan d’activité doit être transmis en fin de mission.
5. Coordination et prise en charge des projets d’innovation pédagogique. Il s’agit de coordonner et de prendre en charge un ou des projets d’innovation pédagogique initiés à l’échelle de l’école ou de l’établissement du second degré. Il n’y a pas de volume horaire spécifié, l’enseignant répondant à un engagement annuel forfaitaire.
6. Appui à la prise en charge d’élèves à besoins particuliers. Également sur le principe d’un engagement annuel forfaitaire, le professeur des écoles est amené dans le cadre de la mission à :
Même si elle semble noyée dans la série des sept missions définies ici, c’est bien la première qui est la plus importante et fléchée comme prioritaire.
1. Remplacement de courte durée. Il est clairement stipulé que « le remplacement de courte durée est une priorité nationale ». Sur un volume de 18 heures annuelles, l’enseignant volontaire assurera la continuité pédagogique. Par contre, aucun détail n’est apporté à la manière dont cette mission peut être accomplie : l’enseignant d’une matière A remplace-t-il un enseignant d’une matière B mais de la même classe, pour faire des cours de sa matière A ? Peut-il ou doit-il intervenir dans des classes qui ne sont pas les siennes ? Est-il amené à enseigner une matière qui n’est pas la sienne ?
2. Intervention dans le dispositif Devoirs faits au collège. Le professeur ou CPE est amené à accompagner les élèves dans la réalisation de devoirs dirigés, à hauteur de 24 heures. Il doit également, et en sus, participer aux réunions de coordination Devoirs faits et assurer le suivi des élèves et le lien avec les professeurs de leur classe.
3. Intervention dans les dispositifs « stages de réussite » et « École ouverte ». Ces deux dispositifs permettent aux élèves ayant des difficultés d’apprentissage et/ou vivant dans des zones urbaines et rurales défavorisées des sessions de remise à niveau pendant les vacances scolaires. L’enseignant volontaire y contribue sur un volume de 24 heures.
4. Intervention dans le cadre de la découverte des métiers au bénéfice des collégiens. L’intervenant consacre 24 heures à animer des séances auprès des élèves, en lien avec le coordinateur et les professeurs principaux, afin de :
5. Coordination et prise en charge des projets d’innovation pédagogique. Conçue sur le principe d’un engagement annuel forfaitaire, cette mission peut entrer dans le cadre :
6. Appui à la prise en charge d’élèves à besoins éducatifs particuliers. L’enseignant répond à un engagement annuel forfaitaire. Cette mission est identique à celle définie plus haut, dans le cadre du premier degré.
7. Encadrement de la découverte des métiers dans les classes de 5e, 4ème et 3e. Sur la base d’un engagement forfaitaire annuel, l’intervenant devra :
Il existe une version aménagée du pacte enseignant à destination spécifique de certains établissements, comme les lycées professionnels. Ayant vocation à s’adapter au projet d’établissement et au niveau d’engagement des enseignants, ce pacte de la voie professionnelle propose 9 missions, ciblant les difficultés d’apprentissage et d’insertion dans la vie professionnelle.
1. Intervenir auprès de petits groupes d’élèves selon les besoins et difficultés, afin de faciliter les apprentissages. D’un volume de 24 heures, cette mission doit permettre d’aplanir les difficultés en mathématiques et/ou en français d’élèves fragiles. L’enseignant volontaire travaillera sur un groupe d’une classe divisée en deux, pendant que le professeur de la classe continue à faire travailler l’autre groupe sur le programme.
2. Permettre aux jeunes une ouverture et un épanouissement à travers un choix d’activités optionnelles. Pendant les 24 heures de cette mission, le volontaire offrira aux élèves la possibilité d’aborder des activités non comprises dans le cursus classique : codage, entrepreneuriat, LV2, art oratoire, philosophie, etc. Cela doit conduire à une ouverture culturelle et un enrichissement des jeunes.
3. Intervenir dans les parcours de consolidation en STS pour augmenter les chances de réussite des étudiants fragiles. Proposés dès la rentrée 2024 aux premières années de BTS en risque d’échec ou de décrochage, les parcours de consolidation intégreront l’intervention de professeurs volontaires. Ceux-ci exercent leurs compétences pendant 24 heures, en face à face pédagogique.
4. Enseigner dans les certificats de spécialisation, qui présentent des chances d’insertion dans l’emploi bien supérieures à celles des bacheliers. Les intervenants volontaires interviennent sur un module de 24 heures en face à face pédagogique pour des activités d’enseignement.
5. Tutorer un groupe d’élèves. Il s’agit ici d’un engagement annuel forfaitaire au cours duquel le professeur de lycée professionnel volontaire pourra assurer un suivi individualisé des élèves d’un groupe, un accompagnement pédagogique adapté ainsi qu’une aide à l’orientation.
6. Détecter les élèves en voie de décrochage et contribuer à leur prise en charge en lien avec les partenaires du lycée professionnel. Sur la base d’un forfait annuel, l’enseignant doit coordonner l’action de prévention du décrochage scolaire menée dans l’établissement. Cela consiste entre autres à détecter précocement les élèves en voie de décrochage, de mobiliser le groupe de prévention du décrochage pour proposer des modalités de réponse et de veiller à la mise en œuvre de ces modalités.
7. Accompagner les jeunes en année de Terminale avant, pendant et après le dispositif d’accompagnement personnalisé de Pôle emploi. Chaque élève en dernière année de lycée professionnel bénéficiera dès la rentrée 2024 d’un accompagnement spécifique pour son insertion professionnelle. Le professeur volontaire s’engage à intégrer ce dispositif sur l’année : coordination des interventions France Travail, liaison avec les conseillers pédagogiques, suivi des jeunes participants aux ateliers proposés.
8. Accompagner après l’année de Terminale des jeunes ni en emploi ni en formation dans le cadre du dispositif Ambition Emploi. Dans la lignée de la mission précédente, il s’agit ici d’accompagner les jeunes sans solution après leur diplôme : identification de leurs besoins, définition d’un parcours personnalisé, coordination avec les acteurs locaux de l’emploi et de la formation.
9. Faire vivre le lien établissement — entreprise. Pendant l’année où il est volontaire, le professeur de lycée professionnel participe à l’accompagnement des tuteurs de stage ainsi qu’à la pérennisation des partenariats avec les entreprises.
On le voit, le pacte révèle de hautes ambitions, avec de nombreuses missions pensées pour la réussite de tous les élèves, dans un contexte de manque de professionnels. On peut néanmoins se demander si la mise en pratique d’un tel foisonnement d’initiatives ne butera pas sur de nombreux obstacles.
L’essentiel est en effet une question de moyens. Si la répartition des missions possibles semble être à la charge de chaque chef d’établissement, ceux-ci, de fait, auront une marge limitée par une dotation initiale sur laquelle ils n’auront pas la main. Le dispositif, tel qu’il est conçu, devrait suivre le planning suivant :
Le risque est réel que, pour répondre aux directives du ministère concernant la priorité à donner aux remplacements d’absences courtes, cette mission n’épuise les crédits affectés. Dans ce cas, la plupart des autres missions ne pourraient être réellement envisagées.
Un enseignant volontaire peut choisir de prendre en charge une, deux ou trois missions au maximum, chacune lui apportant un revenu complémentaire de 1250 € annuels brut. Ainsi un volontaire acceptant trois missions verra son revenu annuel augmenté de 3750 € brut pour an pour 54 à 72 heures supplémentaires.
Un enseignant non volontaire ne peut se voir imposer une mission. Par contre, un enseignant volontaire pourra être obligé d’accepter une mission de remplacement de courte durée, contre son vœu initial.
Reste à savoir si, compte tenu de la réception unanimement négative du pacte de la part des syndicats, ce dispositif séduira. D’autant que près des trois quarts des enseignants pratiquent déjà des heures supplémentaires. De manière annualisée, un enseignant du second degré effectue une heure et demie d’heure supplémentaire par semaine. Et près d’un quart font trois heures supplémentaires hebdomadaire !
Dans la note de service, les rédacteurs n’ont pas oublié la question des inégalités : « les équipes doivent porter une attention particulière à la prise en compte de l’égalité professionnelle et veiller à l’absence de toutes formes de discrimination ». Toutefois, cela n’a pas suffi à rassurer les syndicats qui pointent des lacunes importantes dans le dispositif.
Bien que majoritairement féminine, la profession d’enseignants présente déjà une situation inégalitaire : les professeures gagnent ainsi, en moyenne, un salaire de 13 % inférieur à celui de leurs collègues masculins. La raison ? Le fait que les femmes sont plus souvent que les hommes à temps partiel : 11,5 %, contre 3,2 % des hommes. De plus, on compte proportionnellement plus d’agrégés chez les professeurs, ce qui joue également sur les rémunérations.
L’introduction puis la généralisation au cours des dernières années des heures supplémentaires a plus profité aux hommes : les enseignantes en effectuent un peu moins que les enseignants. Phénomène aggravant les inégalités salariales déjà constatées, il semble qu’elles soient moins bien représentées dans les missions les mieux rémunérées, comme la participation à des jurys ou des missions d’évaluation.
Dans un tel contexte, les mesures du pacte enseignant ne risquent-elles pas d’accroître encore l’écart salarial hommes-femmes ? Si ces dernières choisissent déjà de prendre moins d’heures supplémentaires ou de travailler à temps partiel, pourquoi seraient-elles enclines à accepter de nouvelles missions supplémentaires ?
C’est la question que posent les syndicats, qui en appellent à des garde-fous plus qu’à l’approfondissement d’une politique « indemnitaire ».
Les nombreux statuts ayant cours dans l’éducation nationale, de celui de professeur agrégé à celui de contractuel en passant par les licenciés et les professeurs des écoles présentent chacun des grilles salariales différentes. Les agrégés sont ainsi les mieux payés pour un moindre nombre d’heures, ce qui leur permet de réaliser plus d’heures supplémentaires que leurs confrères.
Le pacte enseignant pourrait ainsi renforcer les inégalités salariales, puisque les agrégés ont, a priori, plus de possibilités horaires que les certifiés, et encore plus que les professeurs des écoles. Ne seront-ils pas les premiers à s’inscrire sur les missions du pacte ? Et à cumuler ainsi un meilleur salaire avec de plus nombreuses indemnités ? C’est un risque qui ne semble pas non plus avoir été pris en compte.
La réception de la note de service et des premières indications faites par le ministre de l’époque, Pap Ndyaie, a été presque unanimement négative. Le cœur des critiques se porte sur les intentions qui pourraient se cacher derrière ces missions complémentaires. Les syndicats y voient une attaque contre un statut d’enseignant déjà mis à mal par de nombreuses réformes.
Selon eux, cette nouvelle « réforme » dégrade une fois de plus l’indépendance des professeurs par rapport aux établissements dans lesquels ils exercent. Le pacte ferait entrer dans une relation contractualisée dans laquelle un professeur « pacté » doit quelque chose à son chef d’établissement. Et changerait ainsi fondamentalement la nature même du métier.
En laissant de surcroît aux responsables d’écoles, collèges et lycées une part importante dans la « distribution » et la « définition » des missions complémentaires, il défait un peu plus la notion d’égalité territoriale, chaque structure gérant à sa façon les missions. Sans un calage très précis, le risque est grand de voir des situations très divergentes selon les établissements. Le SNES-FSU s’est ainsi amusé à recueillir quelques réactions de directeurs d’écoles, de collèges ou de lycées.
Certains d’entre eux proposent par exemple à leur personnel de « prendre une brique RCD (remplacement de courte durée) sans faire de RCD pour financer un projet ou une autre mission ». D’autres envisagent de « réquisitionner » des collègues s’ils ne signent pas le pacte, ou au contraire de signer « une lettre de mission en blanc, sans préciser sur quelles missions ».
Car l’autre inquiétude est que tout cela ne soit qu’un bel habillage pour, finalement, régler le seul problème des remplacements de courte durée. Les nombreuses missions proposées dans le pacte ne seraient alors que marginales par rapport au RCD.
Est-ce que le nouveau ministre de l’Éducation nationale saura répondre à ces fortes inquiétudes et entamer une dynamique positive sur un pacte qui nécessite, quoi qu’il en soit, des aménagements et des éclaircissements ? C’est tout l’enjeu de la rentrée 2023 et de l’année 2023-2024 d’en tester l’acceptabilité et la validité.