Les différentes voies pour intégrer une école d’ingénieurs
Les écoles d’ingénieurs ont plutôt le vent en poupe aujourd’hui. Le manque d’ingénieurs en France pour relever les défis économiques et environnementaux qui se profilent […]
Le nom d’Anne Chopinet n’est pas parvenu jusqu’aux oreilles des jeunes générations d’étudiants. Pourtant, en 1972, elle fut un symbole. Première femme major de l’école Polytechnique, elle faisait également partie avec six autres étudiantes de la première promotion incluant des femmes. Un monde nouveau semblait s’ouvrir, malgré les quolibets et commentaires souvent sexistes et ironiques de la presse. Cinquante ans plus tard, effectivement, la représentation féminine dans la plupart des métiers et des écoles a fortement progressé, parvenant souvent à la parité. Mais la situation dans les écoles d’ingénieur, étonnamment, est restée très fortement inégalitaire. Nous allons essayer de comprendre dans cet article les raisons d’une telle résistance.
On aurait en effet pu croire qu’à la fin du siècle dernier, la vague féministe ait essaimé largement dans la jeunesse. La presse informait régulièrement de nouveautés qui laissaient entrevoir une nouvelle société : première pilote de ligne, première femme à la tête d’une grande entreprise, progressivement, les parcours d’excellence se féminisaient, y compris dans l’industrie. Et pourtant, le constat est sans appel, aujourd’hui seulement 28 % des élèves ingénieurs sont des filles
Bien qu’elle ait donné une Première ministre (Elisabeth Borne) à la nation, l’école Polytechnique, 50 ans après son ouverture aux femmes, ne compte pas plus de 1 étudiante pour 4 étudiants. On compte ainsi 19% de filles parmi les effectifs étudiants de Centrale Supélec ou de l’école des Mines de Nancy et 16% aux Arts et Métiers, ce qui est bien loin des écoles de commerce et de marketing, dans lesquelles les étudiantes sont majoritaires !
Il ne s’agit donc pas d’un phénomène lié à toutes les filières d’excellence. Les femmes manifestent aujourd’hui autant d’ambitions et de talents que les hommes pour embrasser des études élitistes. On pouvait ainsi croire aboli le plafond de verre rendant ces parcours impossibles, mais pas partout ! Il existe donc une spécificité des filières d’ingénieur qui en éloigne majoritairement les étudiantes.
Bien pire : la timide évolution impulsée au début des années 1970 semble aujourd’hui se retourner. De 1966 à 2012, le pourcentage de filles en écoles d’ingénieur est ainsi passé de 5 à 28%, mais, depuis cette date, la courbe stagne et a même tendance à régresser.
Un problème lié au rapport des femmes aux sciences dures ? Des études viennent infirmer cette hypothèse. Par exemple, un travail publié dans la revue Psychological Science en 2018 étudiait le comportement des femmes dans plus d’une soixantaine de pays vis-à-vis des études de Sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STEM), soit l’équivalent des sciences de l’ingénieur en France.
Première constatation, une analyse des résultats des garçons et des filles dans les 67 pays étudiés et dans différentes matières montre clairement que, quel que soit le pays, les filles sont aussi bonnes, voire meilleures, en sciences que les garçons et indéniablement plus douées qu’eux en matières littéraires.
Second enseignement de l’étude, les pays les plus mal classés en termes d’égalité femmes-hommes sont souvent les pays les moins développés et ceux où le pourcentage de femmes étudiant en STEM est le plus fort. Ainsi l’Algérie, la Tunisie, l’Albanie ou le Viet Nam par exemple ont tous un taux de féminisation des filières STEM de plus de 40 % contre moins de 25 % pour la Suède, la Belgique et les États-Unis. Plus le pays est inégalitaire, moins il est développé et plus les femmes donnent la priorité à des carrières lucratives, leur permettant de s’assurer une existence stable et éloignée des soucis financiers. La conclusion de l’étude est donc intéressante : « Ce n’est pas que l’égalité de genre décourage les filles d’étudier les sciences. C’est que cela leur permet de ne pas étudier la science si elles ne sont pas intéressées. ».
Le problème, ce ne sont pas les sciences en tant que telles car certaines écoles d’ingénieur font le plein d’étudiantes. Elles représentent en effet 65 % des effectifs d’Agro Paris Tech et elles sont majoritaires dans de nombreuses écoles de biologie ou de chimie. Autre exemple, 60 % des étudiants en médecine sont des femmes.
Il s’agit donc d’autre chose, lié à la représentation du métier d’ingénieur. Celui-ci reste très attaché à une représentation stéréotypée. Même s’il s’agit d’un métier très divers, il continue à être perçu comme éminemment masculin. Même s’ils sont aujourd’hui interdits, mais restent malheureusement tolérés dans un certain nombre d’institutions, l’image des bizutages parfois très violents et humiliants reste associée aux écoles d’ingénieurs.
La réforme Blanquer du Baccalauréat a eu un impact sensible sur les choix d’orientation. En remplaçant les filières scientifiques, économiques ou littéraires par le choix de spécialités, elle a conduit à modifier drastiquement certaines trajectoires. On a ainsi constaté que les filles ont profité de cette multiplicité de spécialités pour ouvrir leurs horizons vers des domaines différents. En choisissant des spécialités plus éclectiques, elles ont été moins nombreuses que les garçons à se tourner en Première vers des triplettes scientifiques (Maths/Physique-Chimie/SVT par exemple). De plus 52 % des filles ayant choisi les mathématiques en spécialités en Première ont choisi de les arrêter en Terminale. D’où une sous-représentation des filles dans les classes préparatoires aux grandes écoles d’ingénieur et un effondrement redouté de la proportion d’étudiantes dans ces filières si rien n’est fait pour y remédier.
L’absence de mixité en école d’ingénieur est plus qu’un simple problème de statistiques ; c’est une grave question de potentiel inexploité. Certes, le monde a longtemps tourné avec des hommes aux manettes des usines et autres établissements industriels. Mais les enjeux auxquels notre planète et nos sociétés doivent faire face aujourd’hui sont bien différents, nécessitant des approches multiples et des visions originales.
Des chercheurs comme des directeurs d’école font ainsi part de leurs préoccupations. Avec à peine plus d’un quart de femmes en écoles d’ingénieurs, « on se prive d’une diversité dans les solutions qui peuvent être envisagées face à une problématique sociale » s’inquiète Philippe Dépincé, président de la commission Formation et société de la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs).
Il insiste sur le fait que la diversité des personnes intervenant dans le domaine de l’ingénierie doit représenter la diversité de la population. C’est le seul moyen d’inventer un éventail de solutions le plus large possible. Énergie, alimentation, climat, pollution, tous ces défis ne peuvent être relevés que s’ils prennent en compte toutes les populations.
De plus, les élèves les plus brillantes, en choisissant d’autres filières, affaiblissent l’excellence des recrutements des écoles d’ingénieur et risquent, à terme, d’en dégrader l’image.
Face à la parité introuvable en écoles d’ingénieurs, celles-ci ont commencé à réagir. Il s’agit pour elles de rendre leurs filières attractives pour les jeunes filles et de travailler sur leur image.
De nombreuses écoles ont choisi de communiquer massivement auprès des filles sur le métier d’ingénieur. La directrice de Polytechnique en convient : « à 14 ou 15 ans, les élèves ne savent pas toujours ce que recouvre le mot-valise d’ingénieur ». Il n’y a pas que l’école Polytechnique qui intervient dans les collèges et les lycées pour des sessions d’information. La Fondation Mines-Télécom, l’école Centrale ou encore les ENSI cherchent à éclaircir dans la tête des élèves, et tout particulièrement des filles, ce qu’est et ce que propose une école d’ingénieurs.
Si ce travail est fondamental, il n’est pas suffisant. L’information rationnelle et factuelle ne peut faire son office que s’il existe par ailleurs des modèles d’ingénieures, une désirabilité du métier qui, pour l’instant, est rarement perçue par les filles. En effet, comme le constate Amel Kefif, directrice générale du programme Elles bougent, « les dessins animés et les films ne montrent jamais une femme scientifique en activité. Et sur les boîtes de jeux de microscope par exemple, il y a toujours une photo de garçons ». Présenter de grandes découvertes scientifiques réalisées par des femmes, mettre en valeur des parcours féminins pour induire une identification est un impératif si l’on souhaite développer la parité dans les écoles d’ingénieurs.
De nombreuses démarches, salons, challenges, accompagnements ciblés d’étudiantes sont d’ores et déjà à l’œuvre. La Semaine de l’industrie qui se déroule en fin d’année organise ainsi des milliers d’événements gratuits pour promouvoir la mixité dans les métiers industriels et donc dans les études qui y donnent accès.
La création d’un label « Cap Ingénieuses » est un pas supplémentaire vers plus de visibilité des écoles d’ingénieurs en direction des femmes. Il récompense des projets étudiants qui permettent de sensibiliser les filles aux métiers d’ingénieurs : prototypes, jeux autour de la science, échanges entre élèves de collèges, lycées et étudiants, pilotages d’ateliers scientifiques par des filles, etc. Toutes les initiatives labellisées font l’objet d’une large communication et permettent d’infuser l’intérêt des métiers d’ingénieur auprès des filles.
Enfin, il s’agit également pour les directeurs de rendre leurs écoles plus attrayantes, les maquettes des cours se veulent moins théoriques, plus tournées vers la recherche de solutions concrètes. Lors des portes ouvertes et des sessions d’informations essaimées dans les établissements scolaires, les intervenants cherchent à dédramatiser la question du niveau scolaire requis et de démontrer qu’aujourd’hui, le cursus est accessible à tous.
Alors, si vous aussi vous souhaitez devenir ingénieur, renseignez vous sur les différents concours post-bac qui permettent de rejoindre une école d’ingénieur.