L’arrivée controversée d’un nouveau service numérique d’accès aux manuels scolaires pour les lycéens d’Île-de-France

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Dès la rentrée 2024-2025, les lycéens d’Île-de-France vont découvrir une nouvelle plateforme numérique pour accéder aux manuels scolaires. Ce service vient compléter l’offre dématérialisée dans l’éducation, qui s’est particulièrement enrichie depuis la pandémie de la COVID-19. Toutefois, cette initiative régionale qui va supprimer les manuels scolaires papiers, interroge et inquiète la communauté éducative comme les associations de parents d’élèves.

Dès la rentrée 2024-2025, les lycéens d’Île-de-France vont pouvoir accéder à leurs manuels scolaires en ligne

Quel est le principe de ce « Spotify de l’éducation » ?

La société Pearltrees, déjà bien implantée dans le domaine de l’éducation numérique, a été sélectionnée par la Région Île-de-France pour développer ce nouveau service. Pearltrees est connue pour son réseau collaboratif intuitif qui permet aux enseignants et aux élèves de gérer diverses activités pédagogiques. Utilisée dans plus de 500 établissements scolaires à travers la France, cette plateforme facilite l’organisation des cours traditionnels, des exercices et des projets de groupe. Les enseignants peuvent numériser leurs cours et créer une variété d’activités éducatives, que ce soit en présentiel ou à distance.

Le nouveau service proposé par la Région Île-de-France est surnommé le « Spotify de l’éducation ». À l’instar du service de streaming audio, cette plateforme doit permettre un accès numérique granulaire aux manuels scolaires pour les 355 000 lycéens des filières générales et technologiques de la région.

Qu’appelle-t-on granularité ? Si les élèves ont la possibilité de consulter les manuels dans leur intégralité, en feuilletant leurs pages sur le web, ils pourront également accéder à des sections spécifiques, découpées sous forme de granules. Ainsi les professeurs ont tout loisir d’adapter les questionnements, de modifier l’ordre des documents, d’en ajouter, et d’adapter ainsi le manuel à leur pédagogie.

D’autres fonctions avancées sont également annoncées par les éditeurs. Ainsi, on devrait trouver dans les manuels :

  • Un affichage adapté aux élèves dyslexiques,
  • Des zones de saisie qui permettent aux lycées d’apporter directement leurs réponses dans le manuel scolaire numérique,
  • Des corrigés disponibles pour les enseignants, que ceux-ci peuvent choisir d’afficher,
  • La possibilité pour l’enseignant de visualiser les réponses des élèves directement,
  • Des vidéos, des podcasts, des tutos, des QCM interactifs, etc.

Le projet, remporté suite à un appel d’offres public de la région Île-de-France, a abouti à un marché de 18 millions d’euros remporté par Pearltrees.

Comment se passait jusqu’à présent l’attribution des manuels scolaires aux lycéens d’Île-de-France ?

Jusqu’à présent, la région finançait la mise à disposition des manuels scolaires en version papier aux lycéens. Ceux-ci avaient plusieurs années de vie, passant d’une année à l’autre dans les mains de nouveaux lycéens. Avec le risque d’un changement de programme dans une matière qui nécessitait le remplacement de tous les manuels. La région finance également l’équipement informatique de tous les lycéens entrant en Seconde.

Avec l’évolution technologique, quelques établissements avaient commencé à intégrer des manuels scolaires numériques sous la suggestion de la région, mais cette pratique n’était pas encore généralisée. Les manuels numériques proposés offraient déjà certains avantages, tels que la mise à jour facile des contenus et une interactivité nouvelle. Mais l’absence d’une solution centralisée et uniforme limitait leur adoption à grande échelle. Le passage à une plateforme éducative unique, comme celle proposée par Pearltrees, promet de surmonter ces obstacles en offrant une solution numérique cohérente et accessible à tous les lycéens de la région.

On peut enfin souligner que la suppression de manuels physiques contribue à la réduction du poids des cartables.

 

 

Cette nouvelle plateforme fait l’objet de polémiques

Alors que la plateforme va être lancée dès la rentrée scolaire 2024-2025, de nombreuses critiques et de vives contestations sont apparues et alimentent un débat plus large.

Problème N° 1 : la décision a été prise sans aucune concertation

La décision de mettre en place cette plateforme n’a manifestement pas fait l’objet d’une concertation avec les élus régionaux, les syndicats enseignants, les lycéens, ou les parents d’élèves. Valérie Pécresse, en tant que présidente de la région Île-de-France, a décidé de déployer cette initiative dès la rentrée de septembre 2024, sans que celle-ci ait pu être débattue par des acteurs ayant une expérience en pédagogie. Cette absence de consultation a logiquement provoqué de nombreuses réactions, les représentants des différents acteurs de la communauté éducative déplorant le manque de transparence et de dialogue sur un sujet impactant directement le quotidien des enseignants et des élèves.

Or, cette décision de passer à des manuels scolaires numériques sans alternative physique et de les héberger sur une plateforme unique va modifier l’exercice des enseignants. Ils vont devoir se former rapidement à ce nouveau modèle pédagogique dans un délai très court. N’aurait-il pas fallu repousser d’un an cette mesure, afin d’assurer la faisabilité et l’efficacité de cette transition ?

Problème N° 2 : quelles conséquences aura ce passage au tout numérique sur la qualité des apprentissages ?

C’est le point central des critiques. Les manuels papier offrent une continuité. Ils sont élaborés dans une vision pédagogique, selon un parcours spécifique, adapté aux connaissances et fonctionnements des lycéens. Leur structure pensée pour une progression savante est censée faciliter l’apprentissage. En proposant des versions pouvant être éclatées grâce à la granularité, le risque soulevé par les enseignants est celui d’une fragmentation de l’enseignement. Les lycéens suivront des cours sur la plateforme en cliquant sur les « granules » sorties de leur contexte global : qu’en sera-t-il de la qualité des progressions pédagogiques ?

La pression est également accrue sur les enseignants qui doivent adapter leurs cours et les documents utilisés dans un laps de temps très court. Mais la question qui revient est celle de l’efficacité du travail sur des manuels dématérialisés. Citons l’exemple d’une jeune professeure d’histoire-géographie confrontée à ce nouveau type d’enseignement : « Que n’avons-nous de bons vieux manuels papier ! Quand nous étudions des textes, je les imprime. Travailler vraiment un texte, de toute façon, implique de le gribouiller ». Car de plus en plus d’études scientifiques mettent en évidence la supériorité de la lecture sur papier. Ainsi une méta-analyse sur les résultats de 54 études publiées entre 2000 et 2017 aboutit à des conclusions sans appel :

  • La lecture « physique » donne de meilleurs résultats en matière de compréhension,
  • Le scrolling empêche de mémoriser la position des mots dans un texte,
  • L’expérience sensorielle est plus riche face à un support papier,
  • La lecture numérique altère notre capacité d’abstraction.

L’enseignante citée souligne également les défis liés à l’utilisation des ordinateurs en classe : « Les élèves qui n’ont pas leur ordinateur ou ceux dont le matériel est défectueux rendent l’enseignement encore plus compliqué. »

En outre, de nombreux enseignants, mais aussi des parents d’élèves, s’inquiètent de ce que cette transition vers le numérique mène à une éducation à la « Netflix ». Les élèves choisiraient les capsules d’apprentissage à leur guise, sans suivre un programme structuré, comme ils piochent aujourd’hui sur les plateformes de streaming, une série ou une musique. Cela pourrait nuire à l’acquisition de connaissances de manière systématique et organisée, essentielle pour une éducation de qualité.

Problème N° 3 : qu’en est-il de l’équité ?

La décision d’imposer à tous les lycées d’Île-de-France des manuels scolaires numériques pose également des questions d’inégalités sociales. Tous les élèves n’ont pas les mêmes accès aux ressources numériques chez eux. Même avec un ordinateur portable remis à tous en Seconde, les élèves issus de familles moins favorisées pourraient rencontrer des difficultés à domicile. De simples problèmes de wifi lent ou inexistant empêchent par exemple l’accès à internet et donc aux manuels numériques.

De plus, disposer de supports papier semble, on l’a vu plus haut, une manière plus efficace pour comprendre et retenir les notions à apprendre. Selon les foyers, certains n’auront aucune difficulté à acheter des manuels papier contrairement à ceux dont les moyens financiers sont plus limités.

Ainsi, cette décision pourrait encore creuser un peu plus les écarts de réussite entre les élèves.

Problème N° 4 : la question du temps d’écran

De nombreux professionnels de santé s’inquiètent depuis longtemps de l’augmentation spectaculaire du temps passé sur les écrans chez les jeunes, à un moment où se développe leur cerveau et où s’opèrent les apprentissages fondamentaux. Car outre des problèmes de sédentarité et une fatigue oculaire dont les conséquences négatives ne sont pas encore complètement connues, trop de temps sur des écrans perturbe nos capacités cognitives, notre attention et notre sommeil.

En 2024, il semble que les plus de 16 ans passent en moyenne plus de 5 heures quotidiennement devant un écran, smartphone, tablette, console et télévision, en dehors du travail scolaire. Ajouter encore du travail sur écran avec les manuels scolaires numériques contredit les recommandations de limiter l’exposition aux écrans. Le risque n’est-il pas d’une superficialisation des apprentissages, d’une difficulté à acquérir durablement des notions et des techniques fondamentales ?

Il est intéressant de noter que certains pays européens font marche arrière sur l’usage du numérique dans les écoles. Ainsi la Suède revoit-elle sa politique du tout numérique après des résultats peu encourageants en matière de lecture et d’écriture. Une fois passée la fascination devant le monde digital et ses incroyables possibilités, n’est-il pas temps de réfléchir plus posément à son intérêt au lycée ? Sans bannir l’informatique et le numérique des salles de classe, ne peut-on trouver un juste milieu dans lequel le numérique ne serait qu’un complément utile, mais non indispensable ? L’initiative de la région Île-de-France est, dans tous les cas, à surveiller.

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